Un appel d'offres pourvu pour mieux surveiller la réputation de l'exécutif sur le Web
« L'accord-cadre a pour objet la fourniture d'outils de social listening et de mesure d'impact sur les réseaux sociaux pour permettre au Gouvernement de détecter, analyser et mesurer les préoccupations et attentes des internautes vis-à-vis de son action et particulier et de l'actualité en général. Il s'agit d'un marché passé sous le mandat de la Direction des Achats de l'État (DAE) pour les besoins de l'ensemble des ministères », indique la fiche du Bulletin officiel des annonces de marchés publics (BOAMP)
Le Système d’Information du Gouvernement a trois objectifs : analyser l’opinion publique et le traitement médiatique de la politique gouvernementale, relayer les actions de cette politique auprès du grand public et piloter la communication gouvernementale. Le SIG dispose d’un budget total de 14,2 millions d’euros pour l’année 2021. Le gouvernement vient d’allouer 20 % de ce dernier aux activités de social listening menées par trois entreprises spécialistes de la surveillance des réseaux sociaux : le Français Visibrain, l’entreprise Newsship basée en Irlande et Talkwalker du Luxembourg. 1,7 million, 900 000 et 220 000 euros sont les budgets respectifs des ces entreprises mises à contribution par le gouvernement français.
« Talkwalker Analytics permet d’écouter et d’analyser en profondeur les discussions autour d’une marque ou de n’importe quel sujet sur plus de 150 millions de sites web et une dizaine de réseaux sociaux. Ces analyses permettent aux utilisateurs d’évaluer leur e-réputation, de mesurer la performance de leurs campagnes et de mieux promouvoir leur marque », explique l’entreprise sur son site. Orange s’appuie sur ses services.
Vers une surveillance généralisée des réseaux sociaux en France ?
L'une des rares (sinon la seule) réactions de la classe politique à propos de cet appel d'offres est celle de Nicolas Dupont-Aignan – Président de Debout la France et candidat à l’élection présidentielle de 2022 : « Le gouvernement français met en place, un an avant l’élection présidentielle, un système de surveillance généralisée des réseaux sociaux avec l’argent du contribuable. Il s’agit d’avoir une toile qui permet d’encadrer à terme, de fermer, de surveiller, de ralentir la progression de la liberté. »
Certes, les outils visent à mettre en place en place un système de veille des réseaux sociaux, mais les contenus analysés sont uniquement des contenus publics. Ils ne permettent en aucun cas d’accéder à des échanges privés entre les internautes. L’avis de Nicolas Dupont-Aignan ne doit non plus laisser penser que les trois entreprises ont des liens avec les services de modération de Facebook, Twitter et autres réseaux sociaux. Elles ne peuvent donc décider de la fermeture d’un compte.
Un système informatique de plus pour mettre à mal les libertés et droits fondamentaux des Français ?
C’est un avis qui tombe dans un contexte où le gouvernement français apprête l’entrée en vigueur d’un « certificat sanitaire. » C’est un passeport sanitaire européen destiné à démontrer qu’un tiers a reçu le vaccin contre le coronavirus. Ce dernier contiendra plusieurs informations personnelles (nom, date de naissance, numéro de votre passeport) dont un QR code qui permettra de fournir aux autorités les informations sur l'état de santé de son titulaire. Il sera délivré en version numérique de sorte qu’il puisse être affiché sur un smartphone ou imprimé sur papier, selon la préférence de son titulaire. Celui-ci fait l’objet de controverse quand on prend en compte les risques de fuites de données susceptibles de mettre les données de santé des Français aux mains de tiers malveillants.
Le gouvernement français entend lancer une Carte Nationale d’Identité électronique (CNIe) dès 2021. Le projet s’intègre dans celui plus grand d’identité numérique à laquelle la CNIe pourra servir de support. Dans l’espace européen, la France rejoint des pays comme l’Allemagne qui, en 2018, a notifié à la Commission de l’UE son projet de loi introduisant une carte d’identité numérique. Comme l’Allemagne, la France a, parmi les objectifs qu’elle liste dans le rapport du CNnum, d’offrir l’accès aux services de l’administration en ligne au travers de cette carte d’identité numérique. La solution envisagée côté français est de niveau substantiel et élevé, c’est-à-dire que le gouvernement entend mettre sur pied une solution d’identification adaptée à des usages numériques sensibles, engageants pour le citoyen et qui auraient requis une présence physique. Les consultations se poursuivent pour déterminer le degré de sensibilité des données à associer à cette CNIe. Toutefois, le modèle allemand donne une idée de ce qui pourrait à minima être accessible : nom, date et le lieu de naissance et adresse du possesseur de la Carte Nationale d’Identité électronique. Le lancement de ce nouveau titre électronique qui répondra aux mêmes critères qu’un passeport est prévu pour août 2021.
C’est l’étape d’enrôlement (ou de création de l’identité numérique d’un tiers) qui est sujette à controverse. Elle peut être réalisée par une autorité publique de délivrance de titre, un tiers de confiance (La Poste qui enrôle, en tant que fournisseur d’identité fédéré à France Connect) ou de manière automatisée et autonome comme c’est le cas avec la solution « Mobile Connect et moi », fournisseur d’identité privé de France Connect. C’est l’évocation de la solution publique Alicem qui n’a pas manqué de retenir l’attention des critiques de façon particulière.
Alicem a été fortement critiquée pour ses contraintes et les risques encourus. L'argument central qui relativisait ces critiques était que personne n'est obligé de l'utiliser : c'est sur la base du volontariat. Maintenant, les décideurs en sont à la phase de l'élargissement des usages, de façon à ce que ceux qui acceptent de l'utiliser y voient un intérêt grandissant. Ensuite pourra venir la phase où on réduit les usages des alternatives, de façon à rendre la tâche plus difficile à ceux qui refusent de l'utiliser. Au pire, on pourra faire preuve de laxisme dans la maintenance desdites alternatives, de façon à faire valoir dès que possible un besoin impérieux de sécurité pour interdire l'usage de ces solutions ne répondant pas aux exigences de sécurités les plus élémentaires. À terme, il n'y aura donc aucune difficulté à imposer, en pratique, l'usage d'Alicem de façon généralisée.
Source : Appel d'offres
Et vous ?
Pensez-vous que le projet est pertinent ou pas ?
Est-il pertinent de dépenser 2,8 millions pour un tel projet ou au contraire faudrait-il dépenser plus ?
Quel commentaire faites-vous de la réaction de Nicolas Dupont-Aignan ? Est-elle justifiée ou plutôt exagérée ?
Êtes-vous en accord avec l’avis selon lequel ce n’est qu’une question de temps avant que les démocraties occidentales s’arriment à une surveillance généralisée des réseaux sur le modèle chinois ?
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